• Lettre de Sergueï Lavrov aux Etats membres de l’OTAN
  • Réaction de Vladimir Poutine à la réponse de l’OTAN

Texte du message écrit du ministre des Affaires étrangères de la Russie, M. Sergueï Lavrov, sur l’indivisibilité de la sécurité, adressé aux chefs des ministres des Affaires étrangères, Affaires extérieures ou Secrétaires d’Etat des États-Unis, du Canada et de plusieurs pays européens.

Source : Ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie, 1er février 2022

Traduction : lecridespeuples.fr

Vous n’êtes pas sans savoir que la Russie est sérieusement préoccupée par l’aggravation des tensions politico-militaires aux abords immédiats de ses frontières occidentales. Afin d’éviter toute nouvelle escalade, la partie russe a présenté le 15 décembre 2021 les projets de deux documents juridiques internationaux interconnectés – un Traité entre la Fédération de Russie et les États-Unis d’Amérique sur les garanties de sécurité et un Accord sur des mesures visant à assurer la sécurité de la Fédération de Russie et des États membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.

Les réponses des États-Unis et de l’OTAN à nos propositions reçues le 26 janvier 2022 démontrent de sérieuses différences dans la compréhension du principe de sécurité égale et indivisible qui est fondamental pour l’ensemble de l’architecture de sécurité européenne. Nous pensons qu’il est nécessaire de clarifier immédiatement cette question, car elle déterminera les perspectives d’un dialogue futur.

La Charte de sécurité européenne signée lors du Sommet de l’OSCE à Istanbul en novembre 1999 énonçait les principaux droits et obligations des États participants de l’OSCE en matière d’indivisibilité de la sécurité. Elle a souligné le droit de chaque État participant d’être libre de choisir ou de modifier ses accords de sécurité, y compris les traités d’alliances, en fonction de leur évolution, ainsi que le droit de chaque État à la neutralité. Le même paragraphe de la Charte conditionne directement ces droits à l’obligation de chaque État de ne pas renforcer sa sécurité au détriment de la sécurité des autres États. Il précise en outre qu’aucun État, groupe d’États ou organisation ne peut avoir la responsabilité prééminente du maintien de la paix et de la stabilité dans l’espace de l’OSCE ou ne peut considérer aucune partie de l’espace de l’OSCE comme sa sphère d’influence.

Lors du Sommet de l’OSCE à Astana en décembre 2010, les dirigeants de nos nations ont approuvé une déclaration qui réaffirme cet ensemble complet d’obligations interconnectées.

Cependant, les pays occidentaux continuent à n’en retenir que les éléments qui leur conviennent, à savoir le droit des États à être libres de choisir des alliances pour assurer exclusivement leur propre sécurité. Les mots « en fonction de leur évolution » sont impudemment omis, car cette disposition faisait également partie intégrante de la compréhension de la « sécurité indivisible », et plus particulièrement dans le sens où les alliances militaires doivent abandonner leur fonction initiale de dissuasion et s’intégrer dans l’architecture paneuropéenne sur la base d’approches collectives plutôt qu’en groupes étroits. Le principe de sécurité indivisible est interprété de manière sélective comme une justification de la course en cours vers un élargissement irresponsable de l’OTAN.

Lavrov fait référence à ce paragraphe de la Déclaration d’Astana : « La sécurité de chaque État participant est indissociablement liée à celle de tous les autres. Chaque État participant a un droit égal à la sécurité. Nous réaffirmons le droit naturel de tout État participant de choisir ou de modifier librement ses arrangements de sécurité, y compris ses traités d’alliance, en fonction de leur évolution. Chaque État a également le droit à la neutralité. Chaque État participant respectera les droits de tous les autres à ces égards. Aucun État ne renforcera sa sécurité aux dépens de celle des autres. »

Il est révélateur que les représentants occidentaux, tout en se déclarant prêts à engager un dialogue sur l’architecture de sécurité européenne, évitent délibérément de faire référence à la Charte de sécurité européenne et à la Déclaration d’Astana dans leurs commentaires. Ils ne mentionnent que des documents antérieurs de l’OSCE, particulièrement la Charte de Paris de 1990 pour une nouvelle Europe qui ne contient pas l’obligation de plus en plus « gênante » de ne pas renforcer sa propre sécurité au détriment de la sécurité des autres États. Les capitales occidentales tentent également d’ignorer un document clé de l’OSCE, le Code de conduite de 1994 sur les aspects politico-militaires de la sécurité, qui dit clairement que les États choisiront leurs arrangements de sécurité, y compris l’adhésion à des alliances, « en gardant à l’esprit les préoccupations légitimes de sécurité des autres États ».

Cela ne fonctionnera pas de cette façon. L’essence même des accords sur la sécurité indivisible est que soit il y a sécurité pour tous, soit il n’y a de sécurité pour personne. La Charte d’Istanbul prévoit que chaque État participant de l’OSCE a un droit égal à la sécurité, et pas seulement les pays de l’OTAN qui interprètent ce droit comme un privilège exceptionnel d’appartenance au club « exclusif » de l’Atlantique Nord.

Je ne commenterai pas d’autres directives et actions de l’OTAN qui reflètent l’aspiration du bloc « défensif » à la suprématie militaire et à l’utilisation de la force en contournant les prérogatives du Conseil de sécurité de l’ONU. Qu’il suffise de dire que de telles actions contreviennent aux obligations fondamentales paneuropéennes, y compris les engagements pris en vertu des documents susmentionnés de ne maintenir que des capacités militaires proportionnées aux besoins de sécurité individuels ou collectifs, compte tenu des obligations découlant du droit international, ainsi que des intérêts légitimes de sécurité d’autres États.

Évoquant la situation actuelle en Europe, nos collègues des États-Unis, de l’OTAN et de l’Union européenne lancent des appels constants à la « désescalade » et appellent la Russie à « choisir la voie de la diplomatie ». Nous tenons à rappeler que nous avançons sur cette voie depuis des décennies. Les étapes clés, telles que les documents des sommets d’Istanbul et d’Astana, sont exactement le résultat direct de la diplomatie. Le fait même que l’Occident essaie maintenant de réviser à son avantage ces réalisations diplomatiques des dirigeants de tous les pays de l’OSCE suscite de vives inquiétudes. La situation exige une franche clarification des positions.

Nous voulons recevoir une réponse claire à la question de savoir comment nos partenaires comprennent leur obligation de ne pas renforcer leur propre sécurité aux dépens de la sécurité des autres États sur la base de l’attachement au principe de sécurité indivisible. Concrètement, comment votre gouvernement entend-il s’acquitter dans ses pratiques de cette obligation dans les circonstances actuelles ? Si vous renoncez à cette obligation, nous vous demandons de l’indiquer clairement.

Sans une clarté totale sur cette question clé liée à l’interconnexion des droits et obligations approuvée au plus haut niveau, il est impossible d’assurer l’équilibre des intérêts incarnés dans les instruments des sommets d’Istanbul et d’Astana. Votre réponse permettra de mieux comprendre l’étendue de la capacité de nos partenaires à rester fidèles à leurs engagements, ainsi que les perspectives d’avancées communes vers la diminution des tensions et le renforcement de la sécurité européenne.

Nous nous réjouissons de votre réponse rapide. Elle ne doit pas tarder car il s’agit de clarifier l’accord sur la base duquel Votre Président/Premier Ministre a signé les obligations correspondantes.

Nous espérons également que la réponse à cette lettre sera donnée à titre national, car les engagements susmentionnés ont été pris par chacun de nos États individuellement et non au sein d’un bloc ou au nom de celui-ci.

Note du Cri des Peuples : Par ce nouveau courrier, la Russie ne s’attend pas à autre chose qu’à une réponse aussi inconsistante et grotesque que celle adressée par l’OTAN et l’UE à ses propositions de sécurité sur l’Ukraine. Mais elle tient à ce que tout soit explicitement formulé par écrit avant de prendre les mesures de réciprocité qui ne manqueront pas d’être très douloureuses pour l’OTAN en général et ses Etats membres en particulier. Après avoir reçu une fin de non-recevoir collective, Moscou tient à ce que chaque pays confirme sa position individuellement.

Comme le note Dmitri Orlov, « Les demandes de garanties de sécurité russes ne sont pas des ultimatums. Un ultimatum est une sorte de « ou bien », offrant un choix entre la conformité et les conséquences, alors que dans ce cas, la non-conformité et les conséquences suivront automatiquement. L’Occident et l’OTAN sont, pour des raisons de politique intérieure bien comprises, incapables de signer ces garanties ; les conséquences se feront donc sentir en temps voulu.

La Russie a exigé que les États-Unis et l’OTAN mettent par écrit leur refus d’accepter les garanties de sécurité ; ces morceaux de papier seront importants pour la suite. Pour comprendre pourquoi, nous devons tenir compte du fait que tout ce qui fait partie de ces garanties de sécurité a déjà été accepté par l’Occident, à savoir la garantie que l’OTAN ne s’étendrait « pas d’un pouce vers l’est » donnée aux Russes par les États-Unis il y a 30 ans et le principe de sécurité collective accepté par tous les membres de l’OSCE. En signant un document dans lequel ils déclarent leur refus de se conformer à ce qu’ils ont précédemment accepté, les États-Unis et l’OTAN se déclareraient essentiellement apostats du droit et de l’ordre internationaux. Cela impliquerait à son tour que leurs propres besoins de sécurité peuvent être ignorés et qu’ils méritent d’être humiliés et punis.

En outre, en mettant leur refus par écrit, les États-Unis et l’OTAN déclareraient que le principe de sécurité collective lui-même – en particulier en ce qui concerne les États-Unis et l’OTAN – est nul et non avenu, ce qui signifie que si, par exemple, les Bahamas, une nation souveraine depuis le 10 juillet 1973, décidaient de renforcer leur souveraineté en accueillant une batterie de missiles russes pointée à travers le Gulf Stream sur Miami et Fort Lauderdale, en Floride, les États-Unis n’auraient rien à dire sur la question ; et si les États-Unis essayaient de s’exprimer, ils seraient battus avec ce même morceau de papier qu’ils ont signé. « Vous sentez-vous menacés maintenant ? » demanderaient les Russes ; « Peut-être auriez-vous dû y penser lorsque vous nous avez menacés en plaçant vos missiles en Pologne et en Roumanie. » »

***

Conférence de presse de Vladimir Poutine et de Viktor Orban à l’issue des pourparlers russo-hongrois, le 1 février 2022.

Source : en.kremlin.ru

Traduction : lecridespeuples.fr

Transcription :

Vladimir Poutine : […] Nous avons également eu un échange de vues détaillé sur les propositions russes aux États-Unis et à l’OTAN visant à fournir à la Russie des garanties de sécurité juridiquement contraignantes à long terme. Nous tenons à souligner que nous analysons attentivement les réponses écrites obtenues le 26 janvier des États-Unis et de l’OTAN. Mais il est déjà évident que les préoccupations russes de principe ont été ignorées, et j’en ai informé le Premier ministre [hongrois]. Nous pouvons voir qu’ils n’ont pas répondu de manière adéquate à nos trois demandes clés concernant la prévention de l’élargissement de l’OTAN, le refus de déployer des systèmes d’armes offensives près des frontières russes et le retour de l’infrastructure militaire européenne du Bloc aux niveaux de 1997 lorsque l’Acte fondateur OTAN-Russie a été signé.

Dans le même temps, tout en ignorant nos préoccupations, les États-Unis et l’OTAN font référence au droit des États de choisir librement des méthodes spécifiques pour assurer leur sécurité. Mais il ne s’agit pas seulement de donner à quelqu’un le droit de choisir librement des méthodes pour assurer sa sécurité. Ce n’est qu’une partie de la formule de sécurité indivisible bien connue. La deuxième partie inaliénable implique qu’il est impossible de renforcer la sécurité de qui que ce soit au détriment de la sécurité des autres États. […]

Je voudrais expliquer encore une fois la logique de nos actions et de nos propositions.

Il est de notoriété publique qu’on nous a promis que l’infrastructure du bloc de l’OTAN ne s’étendrait pas d’un pouce vers l’est. Tout le monde le sait.

Aujourd’hui, nous voyons où se trouve l’OTAN : en Pologne, en Roumanie et dans les États baltes. Ils ont dit une chose mais en ont fait une autre. Comme ont dit, ils nous ont bien eus ; ils ont simplement triché. C’est ce qui s’est passé, voilà tout.

Puis plus tard, les États-Unis se sont retirés du Traité ABM. Nous avons essayé pendant longtemps de persuader nos partenaires de ne pas le faire. C’est l’un des traités fondamentaux sur la sécurité mondiale. Néanmoins, les États-Unis ont fait ce qu’ils ont fait : ils se sont retirés du traité. Aujourd’hui, des lanceurs de missiles anti-balistiques sont déployés en Roumanie et sont en cours d’installation en Pologne. Ils seront probablement là bientôt s’ils ne sont pas encore construits. Ce sont des lanceurs MK-41 qui peuvent lancer des Tomahawks. En d’autres termes, ce ne sont plus seulement des contre-missiles, et ces armes d’assaut peuvent couvrir des milliers de kilomètres de notre territoire. N’est-ce pas une menace pour nous ?

Maintenant, ils disent que l’Ukraine est la prochaine étape. Ce pays devrait être admis dans l’OTAN.

Écoutez attentivement ce que je dis. Il est écrit dans les doctrines de l’Ukraine qu’elle veut reprendre la Crimée, par la force si nécessaire. Ce n’est pas ce que les responsables ukrainiens disent en public. C’est ce qui est écrit dans leurs documents.

Supposons que l’Ukraine soit membre de l’OTAN. Elle sera remplie d’armes, des armes offensives modernes seront déployées sur son territoire comme en Pologne et en Roumanie – qui va empêcher cela ? Supposons que l’Ukraine commence ses opérations en Crimée, sans parler du Donbass pour l’instant. C’est un territoire russe souverain. Nous considérons que cette affaire est réglée. Imaginez que l’Ukraine soit un pays de l’OTAN et commence ces opérations militaires. Que sommes nous sensés faire? Lutter contre le bloc de l’OTAN ? Quelqu’un a-t-il au moins réfléchi à cela? Apparemment non.

Maintenant, concernant la mise en œuvre des accords de Minsk. D’un côté, on entend des déclarations de l’Ukraine qui veut les mettre en œuvre, alors qu’on nous accuse constamment de ne pas mettre en œuvre les accords de Minsk. D’un autre côté, on entend des déclarations publiques selon lesquelles l’Ukraine s’effondrera si elle respecte ces accords. Quelqu’un a-t-il pensé que s’il crée de telles menaces contre la Russie, il ne fera que créer des menaces similaires contre lui-même ?

Toutes ces questions nécessitent une analyse très minutieuse et une prise en compte des intérêts de chacun. On nous dit que chaque pays a le droit de choisir son propre système de sécurité. Nous sommes d’accord, mais je crois toujours que les États-Unis ne sont pas si préoccupés par la sécurité de l’Ukraine, même s’ils peuvent y penser en marge. Leur objectif principal est d’endiguer le développement de la Russie. C’est tout l’intérêt de leurs manœuvres. En ce sens, l’Ukraine n’est qu’un outil pour atteindre cet objectif.

Cela peut se faire de différentes manières : en nous entraînant dans un conflit armé, ou en obligeant leurs alliés en Europe à nous imposer des sanctions sévères comme les États-Unis en parlent aujourd’hui, ou en attirant l’Ukraine dans l’OTAN, en y déployant des armes d’attaque et en encourageant certains Banderites à résoudre les problèmes du Donbass ou de la Crimée par la force. De cette façon, nous pourrions être entraînés dans un conflit armé malgré tout.

Si nous examinons sérieusement ces nombreuses questions, il deviendra clair que pour empêcher la situation de prendre une tournure aussi négative, et nous voulons l’éviter, il est nécessaire d’examiner attentivement les intérêts de tous les pays, y compris la Russie, et de trouver une solution à ce problème.

Pourquoi avons-nous signé les traités et les accords connexes à Istanbul et à Astana qui stipulent qu’aucun pays ne peut assurer sa propre sécurité au détriment de la sécurité d’un autre ? Nous disons que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN compromettra notre sécurité et nous demandons à nos partenaires d’y réfléchir. Ils parlent d’une politique de la porte ouverte. D’où est-ce que cette idée vient ? Ou est-il stipulé que l’OTAN a une politique de la porte ouverte ? Où est-ce que c’est dit ? Nulle part. Si ma mémoire ne me fait pas défaut, l’article 10 du Traité de l’OTAN de 1949 stipule que les parties peuvent, par accord unanime, accepter tout autre État européen dans le Traité. Donc, ils peuvent le faire, mais ils ne sont pas obligés de le faire.

Après tout, les États-Unis et l’OTAN peuvent dire à l’Ukraine et à d’autres : nous voulons assurer votre sécurité, nous l’apprécions et respectons vos aspirations, mais nous ne pouvons pas vous accepter car nous avons d’autres engagements internationaux que nous avons adoptés plus tôt. Qu’est-ce qui n’est pas clair ou même offensant pour l’Ukraine dans cette explication ?

Nous devons trouver un moyen d’assurer les intérêts et la sécurité de toutes les parties à ce processus : l’Ukraine, les autres pays européens et la Russie. Mais cela ne peut se faire que si les documents que nous proposons font l’objet d’une analyse sérieuse et réfléchie.

J’espère que ce processus se poursuivra. J’ai également convenu avec le Président de la France hier qu’il pouvait venir à Moscou dans un proche avenir pour discuter également de ces problèmes.

J’espère que nous finirons par trouver une solution, bien que nous réalisions que ce n’est pas simple. Mais, bien sûr, je ne suis pas encore prêt à parler aujourd’hui de ce que ce sera.

Je vous remercie.

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Source : Le Cri des Peuples
https://lecridespeuples.fr/…

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