Des infirmiers soignent un Palestinien blessé par les forces de sécurité israéliennes,
aux abords de la porte de Damas, Jérusalem Est, 22 avril 2021 (Oren Ziv)

Par Orly Noy

Il y avait ce père de famille palestinien qui essayait de sauver sa fille des mains de la police, les jeunes kahanistes qui criaient « Mort aux Arabes » dans les rues, la peur que j’aie eue quand on m’a demandé si j’étais de gauche. J’écris pour me rappeler tout cela.

Depuis le début du Ramadan ce mois-ci la police de Jérusalem a interdit aux Palestiniens de s’asseoir sur les grandes marches à l’entrée de la Porte de Damas, la place principale de la Vieille ville, et de tenir des rassemblements en soirée en honneur du saint mois. Cette décision arbitraire, pour laquelle aucune explication plausible n’a été donnée, a enflammé une vaste protestation de la part des Palestiniens. La police, comme si elle attendait juste l’occasion parfaite, a transformé la place en champ de bataille nocturne.

En toile de fond de cette violence, des activistes du groupe suprématiste juif Lehava ont appelé leurs supporters à venir en foule jeudi « pour restaurer la dignité juive » après que plusieurs vidéosTikTok soient apparues montrant des Palestiniens harcelant des Juifs ultra-orthodoxes  dans la ville. Appuyés par leurs représentants qui siègent désormais à la Knesset, des centaines de supporters de l’organisation kahaniste ont répondu à l’appel et sont arrivés dans ce quartier dans le but déclaré d’attaquer des Arabes (ou à défaut des militants de gauche).

Ils ont avancé vers la Porte de Damas en criant « Mort aux Arabes », faisant de la nuit de jeudi la plus violente que Jérusalem ait connue depuis des années. Nous, militants de gauche de Jérusalem, sommes aussi venus pour essayer de faire contrepoids aux fascistes alors qu’ils défilaient dans les rues de la ville.

J’écris maintenant, non pas que la description de la zone de guerre que j’ai vue dans les rues de Jérusalem cette semaine ou les détails sur les jeunes juifs qui criaient « Mort aux Arabes » au cœur de la ville, ne puissent changer quoi que ce soit. Je sais qu’il n’en est rien.

La suprématie juive défile dans le centre-ville de Jérusalem

J’écris parce qu’il est nécessaire de briser cette folie au niveau de ses éléments les plus basiques – pour que peut-être je puisse la comprendre mieux. J’écris pour livrer mon témoignage, parce qu’il n’y a rien d’autre que je puisse faire. J’écris pour me rappeler.

Me rappeler qu’au milieu des nuages de gaz lacrymogène et le son assourdissant des grenades à effet de souffle, j’ai vu un père tenir la main de sa file, essayant de fuir avec elle.

Me rappeler le regard terrifié de l’adolescent traîné par des officiers de police après qu’ils ont chargé contre un groupe de jeunes Palestiniens.

Me rappeler les marches vides devant la Porte de Damas, dont les Palestiniens ont été chassés depuis le début du Ramadan.

Me rappeler que lorsque la puanteur du Skunk (mouffette) – un véhicule qui projette un liquide à l’odeur nauséabonde – m’a presque fait vomir et que les excréments des chevaux de la police étaient laissés à terre, je me suis demandé si la municipalité nettoierait la saleté le lendemain, et à quel point il doit être insupportable de rompre le jeûne les soirs de Ramadan après avoir été aspergé par les eaux usées putrides qui jaillissent du Skunk. Ce sont les nuits supposées être les plus festives de l’année.

Me rappeler le bruit des grenades qui se propageait longtemps après que j’aie quitté les lieux.

Un policier israélien aux abords de la Porte de Damas, Jérusalem Est, 22 avril 2021 (Olivier Fitoussi/Flash90)

Me rappeler que je n’ai pas eu peur quand j’ai vu un paquet de kahanistes assoiffés de sang qui approchaient. J’ai plutôt été surprise de leur nombre et de leur jeunesse.

Me rappeler comment j’ai eu peur plus tard dans la nuit quand quelques jeunes juifs nous ont demandé : « vous êtes de gauche ? »

Me rappeler les Juifs ultra-orthodoxes qui se tenaient de l’autre côté du tram de Jérusalem, près de la partie juive du quartier de Musrara et qui regardaient l’explosion des grenades à effet de souffle lancées depuis la Porte de Damas, des éclairs d’excitation dans les yeux.

Me rappeler le jeune homme avec sa yarmulka se disputant avec un Palestinien qui était de l’autre côté d’une barricade de police avant de lui dire : « On va vous assassiner tous, tu sais qu’on va vous tuer un par un. »

La police israélienne réprime une manifestation à la Porte de Damas

Me rappeler les feux d’artifice qui ont éclairé le ciel tandis que les kahanistes scandaient « N’aie pas peur, Israël, n’aie pas peur ».

Me rappeler les militants de gauche qui se déployaient en très petits groupes, parfois par deux.

Me rappeler qu’à mon départ de la maison ma fille m’a demandé « si tu les vois en train de frapper quelqu’un, qu’est-ce que tu pourras faire ? » et que je n’ai pas su quoi répondre.

Une version de cet article a d’abord été publiée en hébreu dans Local Call. La lire  ici

Orly Noy est rédactrice à Local Call, militante politique et traductrice de poésie et de prose farsi (persane). Elle est membre du bureau exécutif de B’Tselem et milite dans le parti Balad. Ses écrits traitent des lignes qui se croisent et définissent son identité mizrahi ; c’est une femme de gauche, une femme, une migrante temporaire vivant dans une immigrance perpétuelle et dans le dialogue entre les deux.

Source : +972 magazine

Traduction SF pour l’Agence média Palestine

Source : UJFP
https://ujfp.org/