Par Me Maurice Buttin (13 mars 2024)*

Monsieur le Président, 

            Permettez-moi de vous dire combien j’ai apprécié votre très remarquable et émouvant discours le jour de l’inhumation au Panthéon des époux Missak et Mélinée Manouchian, ces étrangers résistants morts pour notre pays. Egalement combien m’a plu votre intervention lors des obsèques de mon confrère Robert Badinter, « l’homme de l’abolition de la peine de mort », « une figure du siècle », comme vous l’avez qualifié, dont j’espère la panthéonisation prochaine. 

            Sur un autre sujet, je partage aussi vos propos lors de votre conférence de presse de janvier, où vous avez affirmé : « Je crois profondément qu’…une Europe plus puissante, plus unie, plus souveraine est un élément de réponse indispensable pour notre pays ».

            En revanche, vous êtes plus que déconcertant lors d’un certain nombre de vos déclarations. Je n’en citerai que trois.

            Au lendemain du 7 octobre, condamnant le Hamas, vous l’avez assimilé au Deaesh – un véritable parti terroriste – et vous avez proposé l’organisation d’une coalition, sans doute en vue de l’éradiquer, comme l’espère le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou ! Mais si une coalition aurait dû, depuis des lustres, être organisée, c’est contre l’Etat terroriste – souvenez-vous de tous les massacres de civils palestiniens antérieurs au quasi génocide d’aujourd’hui à Gaza – qui occupe son voisin l’Etat palestinien depuis juin 1967.

            Et à propos de 7 octobre. Vous avez décidé un hommage national aux victimes françaises des incontestables crimes de guerre commis – pas forcément par des combattants du Hamas, car d’autres groupes sont intervenus ce jour-là. Bonne initiative, car rendre un hommage à des victimes civiles de massacres, quelle que soit leur origine me parait normal. Un point tout de même à relever, ces victimes étaient franco-israéliennes. Elles « ne sont pas tombées sur le ciel de France » comme vous l’avez dit. Elles ont été tuées sur le territoire israélien. Or, un double national n’a, de règle, qu’une nationalité sur le pays où il demeure. Ces victimes ont donc été tuées en tant qu’Israéliennes, et non pas entant que Juifs. Et dès lors votre affirmation selon laquelle l’attaque menée par le Hamas représente « le plus grand massacre antisémite de notre siècle » est totalement fausse. Ces crimes de guerre, encore une fois, ne s’apparentent pas du tout, comme l’avez affirmé, aux attentats terroristes perpétrés en France le 13 novembre 2015 au Bataclan, ou le 14 juillet à Nice. Alors, une déclaration pour faire plaisir aux thuriféraires d’Israël ? 

            Autre dire. Le 26 février, vous avez reçu vingt chefs d’Etat et de gouvernements européens pour montrer leur unité et leur engagement auprès des Ukrainiens. A l’occasion, vous avez entrouvert la porte à l’envoi de troupes au sol en Ukraine ! Cette sortie a suscité, vous le savez, de très fortes réactions chez nos alliés, Etatsuniens, Allemands, Espagnols, etc. En France, le choc a été brutal. Les oppositions n’ont pas tardé non plus. André Chassaigne, président du Groupe Gauche Démocrate et Républicaine, est allé jusqu’à dire : « Seriez-vous irresponsable ? ». Pour Pascal Praud, le chroniqueur du Journal du Dimanche : « Envoyer des troupes au sol en Ukraine, c’est entrer en guerre mondiale », etc. De son côté, le 29 février, le président Poutine a profité de son discours annuel à la nation pour rappeler aux Occidentaux, donc à vous même en particulier, les risques d’un conflit nucléaire s’ils envoient des soldats en Ukraine. Vous avez confirmé votre prise de position jeudi dernier en recevant les chefs des partis politiques à l’Elysée. Il est évident, vous le savez très bien, que les Russes n’ont pas l’intention d’envahir la Pologne, ou les Etats baltes, tous membres de l’OTAN, voire conquérir la totalité de l’Ukraine. Vous jouez la aussi la carte de la peur à la veille des européennes. Une manœuvre électorale.

            Pour en revenir à mon premier sujet, vous demander à nouveau de déclarer l’Etat d’Israël, Etat terroriste, vous ne le ferez pas. Vous n’en aurez pas le courage. En revanche, vous demander de reconnaître l’Etat de Palestine, comme les parlementaires de notre pays l’ont sollicité voici des années, vous pouvez le faire. Comme le dit Gershon Baskin (x), fin négociateur en relation avec certains membres du Hamas : « C’est l’étape qui amènera le changement. Il faut rendre la Palestine réelle pour les Palestiniens, afin qu’ils veuillent vivre pour elle, et non plus mourir pour elle.  C’est comme cela qu’on vaincra le Hamas ».

(x) Entretien avec Cécile Lemoine. Journal La Croix 11 mars 2024.

Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’assurance de ma haute considération.

*Me Maurice Buttin, avocat honoraire à la Cour. Président par intérim du « Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient. » (CVPR PO) – Membre des C.A. de « Pour Jérusalem », des « Amis de Sabeel-France », de « Chrétiens de la Méditerranée », Membre de l’AFPS et du Parti socialiste (depuis Juin 1971)

Nota: Lettre adressée à l’Élysée avant  l’intervention du président de la République. Suite à cette dernière Me Maurice Buttin confirme ses dires.

Source : France-Irak actualité
https://www.france-irak-actualite.com/…